Français
Aujourd’hui, en ce neuvième jour de guerre, j’ai pleuré pour la première fois.
Je n’ai pas seulement pleuré, j’ai sangloté si fort que j’ai effrayé le chat.

J’avais couru jusqu’à mon appartement pour le nourrir et nettoyer sa litière. Il s’est installé sur mes genoux, s’est mis à lécher ma main et… j’ai fondu en larmes. C‘est soudainement devenu si douloureux que mon appartement ne soit plus ma forteresse, mon refuge, mais au contraire, un potentiel danger pendant une attaque aérienne ou des tirs de missiles. Mon petit chat roux et sa “tendresse féline” m’ont brutalement sortie de la sidération dans laquelle j’étais jusqu’alors.

JOUR 1

J’ai vécu la guerre dès qu’elle a commencé – le 24 février.
Habituellement, avec mon rythme de chouette, j’ai du mal à me lever tôt, mais là, j’ai ouvert les yeux vers 5 heures du matin, comme en sursaut. Un bruit inquiétant venait de me réveiller. J’ai d’abord cru que c’était un rêve, quand soudain je l’ai encore entendu. Bon, nous étions en guerre depuis 2014 et les soldats nous avaient souvent expliqué comment reconnaitre les « cadeaux de Moscou ». Là, c’était des missiles.

Un vide glacial s’est insinué quelque part dans la zone du plexus solaire. « Deux missiles m’ont survolé. Est-ce possible ? Nous sommes à des milliers de kilomètres de la Zone d’Opération anti-terroriste (JFO). » Ensuite, tout est redevenu calme, tranquille, respirant le printemps ; et en me préparant pour le travail, je me sentais calme, je me disais :  « Ça devait être des avions. »

En 30 minutes, nous avons toutes et tous appris que non loin de nous, des missiles avaient frappé l’aérodrome. Les mêmes qui avaient survolé le toit de mon appartement. Mais aussi que des missiles de croisière frappaient le territoire de l’Ukraine de toutes parts. Les Russes n’avaient oublié personne : l’ouest, l’est, le sud, le nord, le centre tremblaient dans le petit matin de cet « amour fraternel du monde Russe ». Vers 22 heures, pour la première fois, les sirènes ont étrangement hurlé sur ma ville. J’ai dévalé les escaliers pour rejoindre la rue – il n’y a personne autour de l’immeuble. J’y suis retournée.

Des gens commençaient à sortir ici et là. Tout le monde était confus. Personne ne comprend vraiment ce qu’il faut faire et où aller. On se rappelle ce qu’on a appris à la défense civile. On doit allumer la radio et écouter ce qu’ils disent.
> Quelle radio ? Qui en a encore une aujourd’hui ?
> Bon, alors la TV.
> Et qu’est ce qu’on y verra ?
> Kiev ?
> Mais, qu’en est-il de Kiev ?
> Ou peut-être sur le téléphone ?
> Allons dans les caves.

La cave est froide, humide et sent la pomme de terre.

Cela fait depuis longtemps qu’elle a été divisée en petits espaces dans lesquels les résidents de l’immeuble stockent leurs réserves pour l’hiver. En fait, nous tenons debout entre deux rangées de portes fermées. Je sais que c’est une défense peu sûre en cas de bombardement, mais nous étions tous là. Parce qu’il n’y a rien d’autre. L’atmosphère générale est chargée de confusion, d’irritation et de désespoir.
Après une heure ils ont donné la « fin de l’alerte » et nous nous sommes séparés déprimés. 

2ème jour 25.02 la nuit

Il est deux heures du matin et je suis réveillée non pas parce que je suis une « chouette » mais parce que je ne peux oublier cette première évacuation de ma vie, qui n’était pas un exercice, qui était bien réelle. 

Je fais défiler tout le fil d’actualité. Les nouvelles ne sont pas bonnes – c’est vraiment la guerre. Il y a à nouveau de l’agitation. Je vais dans la cuisine pour prendre de la valériane. Mon chat Rouquin est enchanté : il miaule, se frotte contre mes jambes, se tient sur ses pattes arrière puis demande à être reposé.

Peut-être que le stress a coupé ma logique et que je l’ai laissé lécher la cuillère de sédatif ? Ce qui a commencé là… a duré une heure et demie ; le chat tournait dans tout l’appartement comme un excité, incapable de se taire. 
Je me suis décrétée folle, lui addict, et je suis allée me coucher. Il est trop tôt pour aller au travail.

Matin, 25.02

Cinq heure du matin. Le chat et moi bondissons simultanément hors du lit sous le cri des sirènes. Tremblants. 
J’ai dormi deux heures et demies. Je me suis habillée à la hâte et j’ai descendu les escaliers en courant.

Il y a déjà plus de monde et nous sommes à l’étroit dans la cave de l’immeuble voisin. Je vois la famille qui vit dans l’allée avec leurs jeunes enfants et des « sacs de survie ». Ça me rappelle que j’avais laissé dans mon appartement mon sac à dos contenant tout ce dont j’avais besoin. Donc si mon appartement est bombardé, je me retrouverai sans un seul document.

Quelques heures seulement se sont écoulées depuis la première alarme mais l’ambiance est radicalement différente. Nous décidons de ne plus nous cacher dans les caves des autres mais d’arranger la nôtre.

Fin de l’alerte.
Allons voir ce que l’on peut faire.

La cave est bien mieux. Il n’y a pas de garde-manger, il y a de vastes espaces… jonchés de détritus et d’affaires appartenant aux sans-abris. Nous décidons de faire une toloka (travail collectif) pour nettoyer. Le voisin aux mains d’or est responsable de l’installation de la lumière, car « c’est tout de même plus sympa d’attendre dans une cave avec de la lumière ». Je me rappelle avoir récupéré un câble électrique après des travaux. Nous retournons chez nous tranquillement.

25.02 soirée

La cave est débarrassée des détritus et éclairée.

Des boîtes en cartons sont posées sur le sol comme des tapis. Il y a un grand banc et des sièges bricolés installés entre les couloirs. Les petites fenêtres au niveau du trottoir sont recouvertes de sacs de sable. Au cas où - cela fera office d’évacuation depuis la cave. On se promène tous et on s’exclame. Mais on peut vivre ici ! Quelle beauté ! On a fait du bon travail ! 
Mais on a encore besoin de ramener de l’eau. On ne sait jamais, et on a de l’eau.

Je me suis inscrite aux messages d’alerte par téléphone sur le site de la ville. Maintenant toutes les alertes et recommandations arrivent dans les temps et sont claires, et tu n’as plus à deviner quand rejoindre un abri et quand le quitter. Oui, nous avons tout préparé. Nous avons besoin de connaitre les besoins de la Force de défense territoriale (TrO)

Lina.

Lina

License: CC BY-SA 4.0

Projet Témoignages

Catégorie Guerre en Ukraine

Langue Français

Format Temoignage